L’école inclusive est devenu un sujet de grande importance dans notre système éducatif, et c’est tant mieux !
Je vais temporairement laisser de côté les débats sur sa philosophie et sur les moyens accordés par l’institution pour m’intéresser au fait que cette école inclusive réinterroge vraiment ma pratique (je suis enseignant spécialisé dans l’aide pédagogique).
J’ai longtemps pensé qu’adapter la classe c’était permettre à chacun d’y trouver sa place, permettre une certaine équité. Mais inclure, ce n’est pas vraiment adapter un cadre à des besoins spécifiques, c’est penser le plus possible à tout le monde dès le départ !

Et si on pense à tout le monde dès le départ : plus besoin d’adapter ! On est plus efficace et on gagne du temps !

Voici 3 idées inclusives pour préparer moins/mieux
tout en gagnant en efficacité dans la classe et du temps !

1. Proposer des documents « dysfriendly » à tous les élèves

Jamais nous n’accepterions de discriminer volontairement les élèves blonds, les élèves en surpoids, les élèves d’origine étrangère, les gauchers ou les porteurs de chaussures lumineuses. Pourtant, en proposant des documents sans en penser la mise en page, c’est parfois un peu ce que nous faisons. Nous préparons alors la classe pour 90% de nos élèves (environ 5 à 10% des enfants sont « dys »), sans compter nos élèves fragiles, nos lecteurs en panne qui sont, eux aussi, souvent mis en difficulté par la mise en forme des documents.
En plus, proposer un document « dysfriendly » à tous, c’est non seulement mieux prendre en compte chaque élève mais aussi gagner du temps !
Gagner du temps de préparation – pas de document à préparer « en plus » – et gagner du temps en classe – les élèves sont plus autonomes et l’enseignant est plus disponible pour les accompagner et les faire progresser.

Mise en forme/mise en page

L’objectif principal est de gagner en clarté et d’améliorer le repérage dans l’espace de la feuille, en réaménageant l’espace visuel :

  • Choisir une police de caractères sans empattement : Andika / Tahoma / Verdana ou encore OpenDyslexic (moins facile à utiliser dans les documents de classe).
  • Augmenter la taille des caractères : 14 pts ou plus.
  • Augmenter l’interlignage : 1,5 ou 2 (menu « Paragraphe »).
  • Augmenter l’interlettrage : + 1 point (menu « Police »).
  • Augmenter l’espace entre les mots (mettre deux espaces plutôt qu’un : fonction « rechercher » > »remplacer » pour rechercher les espaces simples et les remplacer par deux espaces).
  • Ne pas justifier le texte (l’aligner simplement à gauche).
  • Aller à la ligne à chaque changement d’idée.
  • Utiliser la page en mode paysage avec deux zones A5 plutôt qu’une grande feuille A4 en portrait. Cela permet de mieux se repérer dans l’espace et de plier la feuille en deux pour éviter visuellement d’être « parasité » par les exercices suivants.
  • Éviter de souligner, de mettre en italique ou TOUT EN MAJUSCULES, préférer l’utilisation du gras et du surlignage.

Consignes

  • Rédiger des consignes courtes.
  • Si la consigne comporte deux tâches différentes, la diviser en deux consignes différentes.
  • Mettre en évidence les éléments importants (surlignage, couleurs, gras, taille des caractères ou police spécifique).
  • Utiliser des pictogrammes pour aider à la compréhension et favoriser l’autonomie.

Choisissez les pictogrammes en début d’année, ils seront utilisés dans tous les domaines et pour toute l’année. Expliquez-les et affichez-les dans la classe. Les pictogrammes peuvent être accompagnés d’un mot ou non. Il est même possible de penser une progressivité dans l’utilisation des pictogrammes : d’abord image + texte puis texte seul (avec l’affiche comme repère en cas de besoin).
Dans ce domaine, le travail de la tanière de Kyban est remarquable (merci pour l’autorisation d’utilisation des documents !). Je me suis permis un petit remodelage pour vous proposer en complément :
les pictogrammes avec le « mot consigne » surligné (et une aide à la lecture) ⇒ à insérer directement dans vos documents de classe.

→ les pictogrammes sans « mot consigne » sont disponibles directement sur le site « la tanière de Kyban » ⇒ à insérer directement dans vos documents de classe.
J’en ai juste ajouté 3 pour les consignes de mathématiques : classe/range/trie (à récupérer ici en drag & drop).

→ un affichage à imprimer pour la classe.

Images & tableaux

Pour les images c’est assez facile, il faut éviter de les agglomérer au texte. Préférez les donc isolées en faisant attention à ce que la légende soit lisible (pas en italique + pas trop petite) et clairement rattachée à l’image.

Pour les tableaux toutes les recommandations de mise en forme/mise en page précédentes sont valables avec quelques ajouts spécifiques :

  • Différencier les lignes ou les colonnes (une ligne/colonne colorée sur deux), en fonction de la consigne et de l’utilisation qui sera faite du tableau.
  • Mettre en évidence les titres des colonnes et des lignes (couleurs, gras et/ou taille des caractères).

Réponses

Lorsque l’écriture est couteuse, limiter la quantité d’écrits permet de garder de la fraîcheur pour atteindre l’objectif principal de l’activité et progresser. Et c’est valable aussi en lecture !
Pour les élèves « dys » ou en difficulté, il est plutôt recommandé de proposer, d’une part, un espace pour les réponses (encadré avec un fond gris et/ou des lignes) afin de permettre un meilleur repérage dans l’espace et, d’autre part, d’accepter un mot réponse  ou de proposer un texte à trous pour limiter la quantité d’écrits. L’objectif est ici d’aller droit vers la compétence à travailler en faisant en sorte que les difficultés en lecture/écriture ne pénalisent pas l’élève dans tous les domaines.

Pour conclure,
la plupart des documents de classe que je rencontre sont faits avec beaucoup de soin. L’idée ici n’est pas d’en faire plus, mais de faire autrement en remplaçant notre « cosmétique » personnelle (pour nos documents de classe) par une plus inclusive (et pas si moche !).

2. Proposer des textes de lecture adaptés pour tous ?

Les textes imprimés/photocopiés

La question des textes de littérature est plus délicate que celle des documents de classe MAIS chaque texte proposé au plus grand nombre peut déjà respecter les recommandations de mise en forme/mise en page énoncées plus haut.

En fonction des difficultés rencontrées par les élèves « dys » et par les lecteurs « en panne », il faudra sans doute proposer différents supports tout de même.
Dans ce cas, vous pouvez aller piocher dans la banque de textes adaptés.
Afin de tenter de s’adapter au mieux aux difficultés des élèves (et à leur évolution) le tapuscrit adapté est disponible en cinq versions différentes (n’hésitez pas à faire des essais et à choisir avec les élèves concernés).

  • Tapuscrit GCSYLM : Graphèmes Complexes soulignés / SYllabes colorées / Lettres Muettes grisées + dialogues aménagés
  • Tapuscrit SYLM : SYllabes colorées / Lettres Muettes grisées + dialogues aménagés
  • Tapuscrit LM+ : Lettres Muettes grisées + dialogues aménagés
  • Tapuscrit LMLS : Lettres Muettes grisées / Lignes Surlignées (une ligne sur deux est surlignée pour faciliter le repérage)
  • Tapuscrit LM : Lettres Muettes grisées

L’utilisation du tapuscrit adapté doit absolument être accompagnée par l’enseignant, le document est complémentaire aux autres documents de la classe (illustrations notamment) mais il ne doit pas s’y substituer.

Les séries de livres

La deuxième possibilité est de peu à peu compléter les séries de livres disponibles dans les classes avec des versions adaptées des titres. Allez jeter un coup d’œil aux livres déjà disponibles !
Dans l’idée d’une école toujours plus inclusive, vous pouvez également constituer des séries uniquement avec des livres adaptés. Tout le monde aura le même livre, les adaptations ne gêneront pas les bons lecteurs et aideront les lecteurs fragiles (dont les enfants « dys »).

La plupart des collègues avec lesquel.le.s je travaille se sont déjà lancé.e.s dans l’adaptation des textes de lecture. Le début est parfois un peu laborieux mais, en mutualisant (cycle/école/circonscription/www.abcaider.fr), on économise de l’énergie et du temps !

3. Concevoir collectivement un parcours harmonisé et flexible

Bon, OK, les mots sont un peu « gnan gnan » mais je vais essayer d’être concret. Partons du constat que notre école demande encore trop souvent aux enfants les plus fragiles de s’adapter le plus. C’est déjà eux, seuls, qui doivent faire la synthèse entre leur.s enseignant.e.s, parfois leur orthophoniste, leur psychomotricien.ne, leur enseignant.e spécialisé.e… mais en plus, à l’école, tout change lorsqu’ils changent de classe !

Imaginer un parcours harmonisé, c’est faire en sorte que l’école + les enseignants prennent à leur compte une partie de la charge, en adaptant leur pratique aux éléments (choisis en équipe) qui seront communs à toutes les classes de l’école. Ce travail, plus intéressant qu’il ne parait, est à faire en cycle/en école entière et par petits morceaux, mais le bénéfice est énorme !

Référents de sons

Le [v] de vélo, le [u] de rouge… sont des repères importants pour nos élèves de CP mais aussi pour les élèves plus grands, en grande difficulté avec les sons. Les enfants (dont les élèves « dys ») qui font des confusions récurrentes par exemple en auront besoin bien au delà de la classe de CP.
Harmoniser les référents c’est éviter que ces élèves aient à en apprendre de nouveaux chaque année car c’est un apprentissage inutile et couteux ! Les référents peuvent bien sûr être enrichis en fonction des besoins de chaque classe mais la base doit rester la même.
Par exemple, dans une de mes écoles, pour que tous les enseignants puissent utiliser les mêmes référents mais aussi les exploiter facilement dans le cadre de leur classe, nous avons produit (sur la base du super travail de Sanléane) les « outils » collectifs suivants :

  • des affichages avec image + mot en cursives + alpha + geste Borel Maisonny → plutôt pour les classes de CP
  • des affichages avec image + mot en cursives + geste Borel Maisonny → plutôt pour les classes de CP
  • des affichages avec image + mot + geste Borel Maisonny → plutôt pour les classes de CE1
  • des affichages avec image + mot → plutôt pour les autres classes
  • un outil avec les sons simples (image + mot + Borel Maisonny) → plutôt utilisé de manière individuelle dans les grandes classes
  • un outil avec les complexes (image + mot + Borel Maisonny) → plutôt utilisé de manière individuelle dans les grandes classes

Le travail de départ (divisé entre les membres de l’équipe) est conséquent mais ensuite la vie est facile. Tout le monde parle des mêmes mots, les élèves les connaissent très bien, les outils sont à disposition de tout le monde n’importe quand. Dans ce domaine, aucun travail supplémentaire n’est demandé pour accueillir un élève « dys » dans une grande classe, tout est déjà prêt.

Consignes pictogrammes

Même idée que pour les référents, standardiser les consignes et conserver les mêmes pictogrammes tout au long de la scolarité permet :

  • au travail effectué autour des consignes en CP/CE1 de bénéficier aux grandes classes (élèves et enseignants).
  • aux élèves en difficulté de gagner en autonomie et en disponibilité.

C’est gagnant gagnant !

Code couleur en grammaire, techniques opératoires et règles de présentation

Je continue de dérouler le même fil : sur le modèle des référents de sons et des pictogrammes consignes, fixer (en équipe) le « code couleur » utilisé en grammaire (entourer le verbe en bleu, souligner le sujet en rouge…), les techniques opératoires (« cassage » de dizaines ou non, boite à retenues ou non), les règles de présentation (date soulignée en rouge, titre à 5 carreaux…) et conserver cela tout au long de la scolarité de l’élève permet aussi de gagner du temps et de l’efficacité pour les élèves fragiles.

Je sais que certain.e.s tiennent beaucoup à leurs règles mais je pense que ce n’est pas trop demander que de faire un effort qui bénéficiera à tous. Attention, le code couleur utilisé en grammaire peut/doit bien sûr être évolutif : si les éléments qui complètent le verbe sont soulignés en bleu en CE1, les COD et COI seront en bleu aussi mais peut-être en pointillés ! Les collègues des écoles dans lesquelles je travaille ont été très inventif.ve.s. Certaines écoles sont même allées jusqu’à faire le lien avec la 6e ! BRAVO !

Outils communs individualisables

Si la question des outils est plus délicate à aborder, on peut tout de même s’accorder assez facilement sur le fait que les outils doivent être attachés aux élèves et non aux enseignants. En d’autres termes, ils doivent suivre les élèves tant qu’ils en ont besoin (s’ils sont efficaces bien sûr).

La difficulté principale, c’est l’utilisation de l’outil en classe. Lorsqu’il est uniquement individuel (réservé à l’élève en difficulté), il est parfois difficile de le faire exister dans le cadre ordinaire de la classe. L’enseignant.e l’oublie parfois et l’élève ne ressent pas toujours le besoin de l’utiliser.
Pour aider tout le monde, on peut essayer de penser un outil qui serait commun à tous les élèves et qui serait individualisable. Par exemple un cahier pour la production d’écrits avec tous les référents de sons, qui serait enrichi chaque année par les listes de mots à connaitre/ les mots invariables. Pour les élèves « dys », on pourrait par exemple ajouter une partie sur les confusions… etc…
Au moment du travail en production d’écrits, dans toutes les classes, tous les élèves peuvent se servir de ce cahier et son utilisation est guidée par l’enseignant.e.
L’objectif est que le recours à cet outil, adapté à chacun, soit normalisé pour tous. C’est encore un gain de temps car il ne sera plus utile de produire un outil, ni d’en imposer l’utilisation mais simplement de penser à l’enrichir en fonction des besoins des élèves.

Un cahier adapté à chaque élève

Pour les cahiers c’est finalement comme pour les règles de présentation : chaque enseignant.e a ses habitudes. Les seules recommandations qui sont arrivées jusqu’à moi sur les cahiers sont :

  • Utiliser de préférence des petits cahiers (17 x 22) pour tous à l’école élémentaire. Les grands cahiers sont plus difficiles à manipuler et ne sont pas adaptés au champs de vision de tous les élèves (notamment les plus petits). Big up à Charivari 🙂
  • Utiliser une réglure adaptée [lire l’article sur les réglures]

Là encore, en mutualisant les stocks, chaque école peut disposer de toutes les réglures et de toutes les couleurs. Plus besoin de faire un achat de dernière minute pour « le nouvel élève qui écrit encore un peu gros » en CE1, l’école est prête !

Rien de révolutionnaire dans ces idées, je suis d’accord. C’est d’ailleurs toute l’idée : Comment faire mieux avec ce que nous savons faire, sans moyens ni temps supplémentaires, en prenant les idées une à une, en en discutant ensemble, en mettant les compétences de chacun au service de tous les élèves.

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